Il y a quelques semaines, l’entreprise emblématique de lingerie féminine, Lise Charmel, obtenait le prix des lecteurs les Echos du meilleur retournement de l’année. Retour sur une superbe aventure et un retournement réussi grâce à l’engagement de toutes les équipes et partenaires de l’entreprise ainsi que de ses conseils et des organes de la procédure.
La Maison Lise Charmel est fondée dans les années 1950 à Lyon, dans le quartier de la soie, berceau de la corseterie française, et se développe en s’appuyant sur un savoir-faire d’excellence et une création innovante. Le groupe est constitué d’un ensemble de sociétés en France et à l’étranger qui couvrent toute la chaîne de valeur du produit, de la conception à la distribution en passant par la production et la logistique. Les produits sont commercialisés en BtoC et en BtoB dans près de 40 pays.
Des difficultés qui s’enchainent entre 2018 et 2019
En 2018, des difficultés conjoncturelles apparaissent. Alors que le marché de la lingerie connaît un ralentissement général, le commerce est fortement affecté par les manifestations des « gilets jaunes » et le groupe doit faire face à des problèmes de trésorerie. Des discussions s’engagent alors avec les banques pour restructurer sa dette bancaire.
Mais dans la nuit du 7 au 8 novembre 2019 , le groupe subit une cyberattaque par rançongiciel qui le paralyse totalement juste avant les fêtes de fin d’année, période cruciale où l’activité est la plus forte ; il faudra plus de six mois pour que celle-ci reprenne totalement. Dans l’attente de l’indemnisation par la compagnie d’assurance du préjudice évalué par expertise à 10 millions d’euros , la direction décide de placer les 9 sociétés françaises sur 29 sous la protection du tribunal de commerce de Lyon en sollicitant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire le 27 février 2020, quelques jours avant la fermeture des commerces pour cause de pandémie de Covid-19. Un nouveau coup dur pour une société déjà fragilisée.
Le groupe, qui réalise alors près de 63M€ de CA en France, n’a pas attendu ces procédures pour lancer les premiers chantiers de transformation, notamment digitale. En 2018, une nouvelle plateforme logistique permet de gagner en performance dans le traitement des commandes, tout en réduisant les coûts de structure et de transport. Une même optimisation des process est enclenchée côté commercial avec le déploiement de commerciaux multimarques, en matière de communication en réduisant les investissements en affichage et en développant la communication digitale, ainsi qu’en réinternalisant certaines compétences pour limiter le recours à la sous-traitance.
La préparation et l’adoption d’un plan de redressement
À partir de 2020, dans le cadre du redressement judiciaire, le modèle économique est revu pour faire face aux nouvelles difficultés avec l’objectif d’optimiser le chiffre d’affaires et de réduire les coûts.
L’offre est ainsi recentrée sur les deux marques principales, Lise Charmel et Antigel, et les gammes de produits sont rationalisées. Les deux sites de production les moins performants sont fermés, et les ateliers sont réorganisés pour optimiser la production. Ces changements dans l’offre et dans la production permettent de poursuivre l’amélioration de la chaîne logistique, et notamment de renégocier les conditions tarifaires des transporteurs. Les actions marketing sont rationalisées et fortement réorientées vers les canaux digitaux, les équipes de vente et le réseau de distribution ajustés au contexte « Covid » avec la fermeture de sept boutiques en France et cinq en Allemagne. Un PSE doit alors être mis en place en France suite à cette rationalisation et une nouvelle gouvernance est installée, constituée d’un conseil de surveillance et d’un directoire. Au total, près de 6M€ d’économie annuelle sont réalisés.
En parallèle, il est constitué des comités de créanciers (devenus aujourd’hui les « classes de parties affectées ») pour la préparation du plan de redressement. Une réduction massive du passif est négociée par les administrateurs judiciaires avec les principaux créanciers, condition nécessaire à la continuité de l’exploitation.
Au jour du redressement judiciaire, le passif à l’échelle du groupe s’élevait à plus de 45M€. Après négociation, le passif à rembourser a été réduit de manière spectaculaire à 13M€. Un résultat inédit, alors même que l’actionnariat du groupe est demeuré inchangé.
En septembre 2021, les 8 plans de continuation des sociétés du groupe sont ainsi arrêtés par le tribunal de commerce de Lyon.
Les administrateurs judiciaires saluent l’effort collectif des banques qui ont su soutenir le fleuron français de la lingerie féminine, et qui emploie alors plus de 800 salariés à travers le monde.
Ce travail a notamment été salué par Eric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, lors de son déplacement à Lyon pour l’inauguration des Etats Généraux de la Justice le jeudi 21 octobre 2021 à Saint-Quentin-Fallavier (38070), au sein des locaux de la société Lise Charmel.
Un retournement réussi !
Malgré la difficulté supplémentaire que représente le contentieux toujours en cours avec l’assureur pour le versement de l’indemnité due suite à la cyberattaque, les efforts de toutes les équipes portent rapidement leurs fruits.
Dès 2022, le groupe retrouve ainsi son niveau d’activité pré-Covid et développe sa rentabilité.
En 2023, les sociétés françaises Lise Charmel réalisent à nouveau près de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires.
En parallèle, et compte tenu du passif préalablement négocié, l’endettement du Groupe est quasi nul à la fin de l’année 2023 (alors que sa dette nette était de plus de 45M€ avant l’entrée en procédure). Les capitaux propres reviennent au niveau de 2019. Les engagements souscrits aux termes du plan de redressement ont été respectés et les recrutements ont repris depuis la sortie du redressement judiciaire.
« Lise Charmel aujourd’hui c’est 800 collaborateurs, plus de 2000 points de vente à travers le monde, une dizaine de boutiques en propre, une présence également dans les plus beaux corners de grands magasins » indique son directeur général, Olivier Piquet. Il poursuit en soulignant et remerciant « l’engagement de toutes les équipes » avec un mot particulier pour les organes de la procédure qui ont challengé l’entreprise de façon très dynamique, ce qui a été, pour le dirigeant, « un des points clés de la réussite de ce retournement ».
Au vu de ce chemin parcouru, Lise Charmel était nominée dans le cadre du Prix Ulysse 2024 du « meilleur retournement de l’année » organisé par l’Association des Professionnels du Retournement (ARE) et a obtenu le prix du lecteur des Echos pour ce retournement.
Au cours de la cérémonie de remise des prix, Olivier Piquet a à nouveau souligné que tout cela n’avait été possible que grâce à un formidable travail d’équipe : en interne bien sûr, mais également avec les conseils de l’entreprise ainsi que les organes de la procédure (administrateurs et mandataire judiciaires) et le tribunal de commerce de Lyon !
Un retournement synonyme de belle victoire à la fois pour l’entreprise et pour le savoir-faire français !
AJ Meynet & Associés (Robert-Louis Meynet, Typhaine Meynet, Arthur Boucaud, Pierre Beurton et Malory Chapon) et BCM (Eric Bauland et Anissa Nehache) sont intervenus en tant qu’administrateurs judiciaires avec une mission d’assistance.
Alliance MJ (Marie-Dubois) et MJ Synergie-Mandataires judiciaires (Bruno Walczak et Michaël Elancry) sont intervenus en tant que mandataires judiciaires.
Franklin (Numa Rengot, associé, Fanny Attal, avocate, Pierre Dupuys, avocat, Yann Colin, associé, Victor Cracan, avocat, Myriam de Gaudusson, associée , Amélie Nision, avocat) et Moreau Avocat (Luc Moreau) sont intervenus en qualité d’avocats de Lise Charmel, notamment sur l’élaboration du plan de continuation et sa négociation.
Grant Thornton (Clotilde Delemazure, associée et Romain Lochon, directeur) est intervenu en qualité de conseil financier de Lise Charmel
Godet et Associés (Dominique Godet, associée et Magali Ostrolenk , associée) est intervenu en qualité d’avocat de Lise Charmel sur le volet corporate.
Kalliopé Avocat (Karen Leclerc, associée) est intervenu en qualité d’avocat de Lise Charmel sur le volet droit des assurances (cyberattaque).
Polder Avocats (Aurélien Barrié) est intervenu sur le dossier en tant que conseil des organes de la procédure.
De Pardieu Brocas Maffei (Philippe Dubois, associé, et Thibaut Lecrenais, avocat) est intervenu en qualité de conseil de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes.
RE-AGIR (Pascal Layet) est intervenu sur le dossier en tant que conseil du CSE
Par Gwenaëlle de Girval