En 2024, la France a traversé une année marquée par un nombre record de défaillances d’entreprises, atteignant des sommets inédits. Ce phénomène, analysé dans le rapport « Défaillances d’entreprises : Un record historique en 2024, des défis persistants pour 2025 » publié par EY (Guillaume Cornu, Julien Brindeau, Pascal Gounon, Mihaela Kirova) et AU Group (Louis Bollaert, Olivier de La Pontais, Estelle Dupont Aldiolan) révèle les défis colossaux auxquels les entreprises ont dû faire face et esquisse les perspectives pour l’année à venir.
Pour décrypter le profil des entreprises en difficulté en 2024, les secteurs et les régions les plus impactés et analyser les tendances de 2025, EY s’est allié avec AU Group afin de réaliser une étude, autour d’un panel d’experts : Ana Boata (Allianz Trade), Marc Lhermitte (EY), Frédéric Coirier (Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire), Virginie Auvergnas (EY Stratégie & Transactions), Nuria Gorog (AU Group) et Loic Finaz (Amiral et écrivain).
« Le climat politique français, chamboulé par une motion de censure historique et une valse des gouvernements, laisse place à une instabilité propice à affecter le moral des entrepreneurs, de même que leur capacité à se projeter ». À travers des données fournies par Allianz Trade, l’étude explore les causes profondes des défaillances, met en avant l’impact de l’instabilité économique et politique sur les décisions des investisseurs et chefs d’entreprise et, propose des pistes pour naviguer dans cet environnement tumultueux.
Un niveau de défaillance sans précédent
Depuis le COVID, les entreprises en France et à l’international ont traversé une phase euphorique marquée par une forte croissance et un accès facilité aux financements et à la liquidité, notamment grâce aux PGE. Et ce, dans un environnement de taux d’intérêts particulièrement bas. De fait, la France a enregistré des niveaux de défaillances particulièrement bas, bien que 2023 ait marqué une année de « normalisation ». À partir de mi-2023, la situation a progressivement évolué avec notamment la fin des aides d’État et du « quoi qu’il en coûte ».
Ainsi, l’année 2024 a été marquée par un nombre record de défaillances d’entreprises en France, atteignant plus de 66 000 cas, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2023. Cette hausse reflète une tendance mondiale, avec des hausses similaires observées en Allemagne (+25 %), en Italie (+33 %) et aux États-Unis (+17 %). « La résurgence des faillites de grandes entreprises s’est retrouvée aussi au plan mondial avec un nombre record sur la décennie de cas d’entreprises de plus de 50 millions d’euros de chiffres d’affaires — au-delà d’une grande faillite par jour ! — ce qui nourrit le risque d’effet domino sur les nombreux fournisseurs et sous-traitants », souligne Ana Boata.
Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation de la situation, notamment l’envolée des coûts énergétiques, les charges salariales élevées ou encore les difficultés de remboursement des aides perçues pendant la crise sanitaire. Par ailleurs, a été observé un ralentissement du marché du M&A ainsi qu’une augmentation des dossiers en Watch List auprès des banques. « En réalité, plus que 2023, 2024 est une véritable année de transition » souligne Guillaume Cornu.
Aussi, l’instabilité politique accrue, avec des tensions commerciales et géopolitiques croissantes, a également pesé sur la confiance des entrepreneurs. « Après plusieurs années d’idylle, la situation peut-elle détourner les entreprises internationales de notre économie ? La réponse est… non », affirme cependant Marc Lhermitte. En effet, il ajoute que les investisseurs étrangers comptent sur la France et sur l’Europe, malgré les incertitudes. 75% d’entres eux prévoient d’investir en France d’ici 2027.
Les secteurs les plus touchés
Les défaillances se concentrent dans quelques secteurs clés. Le BTP, l’immobilier et la distribution ont été particulièrement touchés, représentant près de la moitié des défaillances, suivis par l’hôtellerie-restauration et le transport. Les entreprises industrielles, notamment les sous-traitants automobiles, sont fortement affectées par la transition électrique plus lente que prévu et la concurrence asiatique. « Le maintien de la filière automobile française et européenne est en jeu », alerte Virginie Auvergnas, associée EY Stratégie & Transactions.
Des disparités régionales marquées
Les régions les plus impactées sont également mises en avant, soulignant les disparités géographiques dans la répartition des défaillances. L’Île-de-France arrive en tête avec 760 procédures recensées pour des entreprises de plus de 2 M€ de chiffre d’affaires, suivie de l’Auvergne-Rhône-Alpes (284) et de Provence-Alpes-Côte d’Azur (221). Ces trois régions concentrent près de la moitié des défaillances d’envergure. On relève par exemple la liquidation judiciaire de la société Indexia Group avec 376 M€ de chiffre d’affaires et 2 510 salariés, le redressement judiciaire de Vencorex France avec 461 M€ de chiffre d’affaires et 503 salariés ou la sauvegarde de Gedecom et de ses 402 salariés.
« Malgré des très bons débuts, l’année 2024 n’aura pas été bonne pour les ETI. » indique Frédéric Coirier, Co-Président du Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire. « En 2025, l’objectif reste de tenir bon la barre du travailler et produire en France (…) Il faut agir et vite ! », ajoute-t-il.
2025 : une accalmie fragile
Les prévisions pour 2025 annoncent une stabilisation avec environ 64 500 défaillances. Cette accalmie pourrait être soutenue par une légère reprise économique (+1,1 % de croissance du PIB) et un assouplissement des conditions de crédit par la BCE.
Cependant, les entreprises vulnérables resteront sous pression en raison des contraintes liées au financement et au remboursement des dettes accumulées. Pour Nuria Gorog, Directrice Risques Spéciaux, Crédit, Risque Politique et Caution AU Group, « en 2025, plus que jamais, la bonne compréhension du lien entre risque politique et défaillances d’entreprises s’avère déterminante pour anticiper, envisager des scénarios gagnants alternatifs et élaborer les tactiques adéquates permettant de mitiger voire éviter les pertes liées aux défaillances des clients et partenaires ».
Guillaume Cornu relève l’inquiétude des professionnels pour 2025 et constate notamment le durcissement de la position des pouvoirs publics sur les retards fiscaux et sociaux ainsi que le désengagement des banques de certains secteurs fragiles. « Des situations qui débutent en refinancement traditionnel basculent en restructuration et en procédures amiables. Je pense que ces situations vont s’accélérer dans les semaines et mois à venir », ajoute-t-il.
Ainsi, face à cet environnement incertain, les entreprises doivent renforcer leur gestion des risques et préserver leur trésorerie. « Il est aussi nécessaire de construire des dossiers extrêmement solides pour soutenir les BP qui seront présentés aux partenaires financiers » rappelle Guillaume Cornu. « Les financeurs ont besoin d’avoir une vision précise et claire du business model des entreprises et de leur positionnement sur leur marché mais également de toutes les mesures opérationnelles d’amélioration de la profitabilité et de la trésorerie que celles-ci envisagent dans leurs business plan ».
Aussi, les entreprises faisant preuve de transparence, de prudence et d’esprit d’initiative seront donc celles qui s’en sortiront le mieux.
« Des défaillances, il y en aura toujours. Mais le monde est aussi, et malgré tout, porté par des hommes et des femmes qui entreprennent. Ces dirigeants qui ont compris que leur responsabilité est de voir, décider, agir lorsque frappent l’incertitude et la foudroyance », conclue l’amiral et écrivain Loic Finaz, président de la société de conseil Esprit d’Équipage et d’Entreprise.
Par Agathe Caquineau